La protection de l’enfance, une recherche d’équilibre sous tensions

La protection de l’ enfance fait partie de la protection juridique des personnes dites vulnérables. Elle est une des missions des sociétés démocratiques.

Par définition il s’agit d’un dispositif complexe qui tente de concilier le respect des droits de l’enfant, les attributs de l’autorité parentale et la poursuite de l’intérêt général. Le dispositif doit pouvoir être à la fois précis pour assurer la sécurité juridique des individus et souple pour saisir la spécificité de chaque situation et de chaque enfant. Il entraîne une intervention publique au sein de la cellule familiale privée. Au niveau juridique, il se heurte à la fois au droit privé et au droit public, dont les tensions ne sont pas sans conséquences pour sa mise en place. La protection de l’enfance est donc une recherche d’équilibre forcément source de tensions.

Aujourd’hui définie par la loi du 5 mars 2007 (voir encadré), la protection de l’enfance englobe des interventions à la fois préventives et curatives, mises en oeuvre auprès des familles en difficulté. Elle s’adresse aux mineurs, à la leurs familles, aux jeunes majeurs, aux mineurs isolés étrangers ou encore aux enfants isolés et orphelins.

L’audition de la France par le Comité des Droits des Enfants des Nations Unies les 13 et 14 janvier 2016 a permis aux différents acteurs de faire un bilan du dispositif et d’envisager les moyens de le rendre plus efficace.

En juin 2015, Laurence Rossignol, Secrétaire d’Etat chargée de la Famille, des Personnes âgées et de l’Autonomie, a présenté les grands axes de la feuille de route 2015-2017 pour la protection de l’enfance, dessinant ainsi les grands traits d’une réforme centrée sur l’enfant.

Cette feuille de route est le résultat d’une consultation nationale avec l’ensemble du secteur de la protection de l’enfance.

 

Depuis quelques années la protection de l’enfance en France est l’objet de nombreuses controverses

  • En juin 2015, dans le cadre de l’audition de la France par le Comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies, l’UNICEF France et ses partenaires publient un rapport alternatif inquiétant intitulé « Chaque enfant compte, partout et tout le temps ».  Le constat est accablant : « Plus de 3 millions d’enfants pauvres, plus de 30 000 sans domicile, 9 000 vivant dans des bidonvilles, 140 000 élèves décrocheurs chaque année, des disparités territoriales de plus en plus marquées, particulièrement criantes en France ultra-marine… Notre rapport est un cri d’alarme qui doit pousser les autorités françaises à agir d’urgence et de manière plus efficiente pour chaque enfant », écrit Michèle Barzach, présidente de l’UNICEF France.
  • L’UNICEF présente un rapport lors de l’audition de la France en janvier 2016 intitulé «Les enfants peuvent bien attendre » qui livre un constat critique sur la situation des droits de l’enfant en France, à travers le regard de 25 experts dans le champ de l’enfance et de l’adolescence (chercheurs, sociologues, avocats, magistrats, élus, psychiatre…). Il met le doigt sur de nombreuses carences du système.
  • De nombreux témoignages bouleversants d’enfants placés ont été publiés mettant en avant les failles du système. On pense au témoignage de Lyes dans son livre «Dans l’enfer des foyers» publié aux éditions Flammarion en 2014 ou encore à celui de A. Durrousset publié sur le site du Nouvel Obs.
  • Enfin plusieurs professionnels ont publié leurs inquiétudes comme Maurice Berger dans « L’échec de la protection de l’enfance » (2003 Dunod), ou encore Flore Capelier dans « Comprendre la protection de l’enfance : l’enfance en danger face au droit » (Capelier, 2015).

 

Quels sont les principaux reproches faits au dispositif de la protection de l’enfance en France?

  • La protection de l’enfance protègerait plus les parents que les enfants. C’est ce qu’affirment de nombreux professionnels. Rien que l’appellation « protection de l’enfance » est discutée par certains auteurs qui estiment qu' »il aurait été sans doute utile d’ajouter le terme de famille à celui de protection de l’enfance – protection de l’enfance et de la famille- car la majorité des actions visent à aider les parents ». C’est particulièrement le cas lors des visites médiatisées qui sont souvent mises en place pour satisfaire des parents défectifs au détriment du bien-être et de la volonté de l’enfant placé. Catherine Sellenet pointe du doigt dans le rapport de l’UNICEF le trop souvent manque de respect de la parole de l’enfant dans des situations de maintient des liens : « ce droit (de visite) ne doit pas se transformer en obligation, pour l’enfant, de maintenir des liens factices ou pathogènes, ni permettre une instrumentalisation de l’enfant au nom du soutien à la parentalité ». Maurice Berger accuse « l’idéologie du lien familial » qui impose de maintenir le lien coûte que coûte sans prendre en compte parfois le droit de l’enfant à un développement harmonieux dans un environnement sécurisant.
  • La protection de l’enfance ne prend pas assez en compte la parole de l’enfant. Il n’y a à ce jour pas de dispositif d’écoute adéquat. Selon les mots de Catherine Sellenet « les restrictions et les précautions prises vis-à-vis de la parole de l’enfant et contre son accès direct à la justice trouvent leur justification dans une certaine vision de la qualité de la parole de l’enfant, d’où l’intérêt d’analyser ces représentations, de questionner la parole de l’enfant, son expression, sa mise en œuvre au regard de celle de son parent. »
  • La protection de l’enfance se heurte au droit. Comme l’analyse très bien Flore Capellier, les tensions qui existent aujourd’hui au sein du droit privé et du droit public ont des conséquences sur la mise en oeuvre de la protection de l’enfance. Elle écrit notamment :  » Pour considérer l’enfant dans sa globalité, il est aujourd’hui nécessaire de dépasser les clivages juridiques existants pour considérer les règles de droit public et de droit privé qui s’intéressent à la question, et ne sont malheureusement pas toujours mises en cohérence.
  • La protection de l’enfance manque d’outils d’évaluation et d’évaluation des résultats. Maud Gorza et Flora Bolter, auteures d’un travail de recherche très intéressant sur les indicateurs de bien-être de l’enfant (voir bas de l’article) précisent que  « La France ne dispose pas de sources de données administratives centrées sur l’enfant, notamment en ce qui concerne sa santé ou la prise en charge en protection de l’enfance. » En dehors des dangers visibles comme les sévices physiques ou sexuels qui impliquent pénalement les professionnels, les dangers psychiques ne sont pas évalués, avec le risque d’une grave sous-estimation. Les réponses apportées par la protection de l’enfance ne sont pas non plus évaluées. Il est temps que la protection de l’enfance émerge comme une thématique de recherche à part entière.

 

Le cadre règlementaire de la protection de l’enfance

C’est à la fin du XIXème siècle seulement que l’enfant commence à être considéré comme un sujet de droit et non plus comme un objet. La notion de « droit de l’enfant » apparaît.

  • La loi du 24 juillet 1889, dite loi Roussel, entend protéger les enfants maltraités et moralement abandonnés.
  • La loi de 1898 prévoit l’aggravation de la peine lorsque l’auteur du délit est l’ascendant ou le gardien de l’enfant.

Au XXème siècle, on reconnaît des droits à l’enfant. Il est considéré comme un individu à part entière.

  • La loi de 1945, relative à la création de l’aide sociale à l’enfance, construit le système français de la protection de l’enfance.
  • La loi du 4 juin 1970, relative à l’autorité parentale remplace en droit français la « puissance paternelle » qui assurait l’exclusivité de l’autorité du père sur les enfants par l’autorité parentale
  • Le 10 juillet 1989, la loi relative à la protection des mineurs et à la prévention des mauvais traitements est votée. Elle a pour effet de redéfinir et de soutenir le travail des professionnels de l’enfance.
  • Le 20 novembre 1989, la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, proclamée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies, énonce au travers de 54 articles les droits fondamentaux de l’enfant.
  • En 1995, le Parlement français décide de faire du 20 novembre « La journée nationale de défense et de promotion des droits de l’enfant ».

Plus récemment, divers textes sont venus enrichir la législation en faveur des enfants.

  • La loi du 17 juin 1998, relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, comporte deux volets : le suivi socio-judiciaire des délinquants sexuels et le renforcement de la défense et de la protection des victimes. L’enregistrement audiovisuel de l’enfant peut se faire au cours de l’enquête avec le consentement de l’enfant ou de son représentant légal.
  • La loi du 2 janvier 2004, relative à l’accueil et à la protection de l’enfance prévoit, entre autre, la création de l’ONED (l’Observatoire National de l’Enfance en Danger) ainsi que de nouvelles dispositions relatives au signalement des actes de maltraitance par les professionnels soumis au secret.
  • La loi du 9 mars 2004 porte sur l’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Elle prévoit notamment l’allongement des délais de prescription des infractions sexuelles commises sur des mineurs, et la création du fichier judiciaire national des auteurs d’infractions sexuelles.
  • La loi du 5 mars 2007 réforme la protection de l’enfance et confie au conseil général la responsabilité d’assurer le recueil, le traitement et l’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger. Elle fait de la prévention un des axes majeurs du dispositif de protection de l’enfance. Elle aménage le secret professionnel et instaure la primauté de la protection administrative sur la protection judiciaire.
Selon la loi du 5 mars 2007, la protection de l’enfance « a pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives, d’accompagner les familles et de s’assurer, le cas échéant selon les modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs ».

Les chiffres de la protection de l’enfance

  • 288 000 mineurs font l’objet d’une mesure de protection de l’enfance soit un taux de prise en charge de 19,7 ‰ des moins de 18 ans. (Chiffre ONED AU 31 décembre 2013)
  • 15 047 faits de violences, mauvais traitements et abandons d’enfants constatés par la Police Nationale en France métropolitaine en 2013
  • 107 672 mineurs en danger dont le juge des enfants a été saisi en 2014 (+ 3,7 % par rapport à 2013) (Ministère de la justice)
  • 229 264 mineurs suivis par le juge des enfants (hors mesure d’aide judiciaire) au 31 décembre 2014 (+ 1,0 % par rapport à 2013) (Ministère de la justice)
  • 98 000 signalements d’enfants en danger en 2006 (ODAS).

 

Le constat est là. C’est avec beaucoup d’enthousiasme que nous attendons de voir se concrétiser les modifications à la fois juridiques, administratives et pratiques nécessaires à une future réforme de la protection de l’enfance permettant d’assurer au mieux la mission de protection de notre société à l’égard des enfants.

 

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Sources documentaires :

  • BERGER M., L’échec de la protection de l’enfance, Collection « Enfances », Dunod, 2003.
  • CAPELIER F., Comprendre la protection de l’enfance – L’enfance en danger face au droit, Dunod, 2015.
  • CYRULNIK B., Sauve-toi, la vie t’appelle, Odile Jacob, 2014.
  • EGLIN M., LE LOHER P., « De la protection de l’enfance à la prévention de la délinquance. Deux approches des familles en difficulté », Enfances & Psy 2007/3 (n° 36), p. 165-175.
  • GEBLER L., « L’audition de l’enfant par le juge aux affaires familiales », Enfances & Psy 2007/3 (n° 36), p. 50-60.
  • GORZA M., BOLTER F., « Indicateurs de bien-être de l’enfant, une déclinaison en protection de l’enfance est-elle possible ?. », Journal du droit des jeunes 2/2012 (N° 312) , p. 26-36.
  • HUYETTE M., « L’avis de la CNCDH sur l’assistance éducative et les placements d’enfants. », Journal du droit des jeunes 9/2013 (N° 329) , p. 28-28.
  • KERR J.F., VERDIER P., Débat animé par Capelier Flore et Rongé Jean-Luc, « Protection de l’enfance : quelles nécessaires évolutions ?. », Journal du droit des jeunes 9/2013 (N° 329), p. 29-42.
  • LAMOUR M. La souffrance des professionnels confrontés aux séparations précoces. Erès, 2003.
  • LOI n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance
  • LYES L., Dans l’enfer des foyers, Flammarion, 2014.
  • Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, Feuille de route pour la protection de l’enfance 2015-2016, Juin 2015.
  • ONED, Famille, parenté, parentalité et protection de l’enfance. Quelle parentalité partagée dans le placement ? Septembre 2014.
  • ONED, Les chiffres clés de la protection de l’enfance
  • ROSENCZVEIG, J.P., « Protection de l’enfance ou l’art de légiférer à l’emporte-pièce», Journal du droit des jeunes 2015/4 (N° 344), p. 7-9.
  • UNICEF France,  Les enfants peuvent bien attendre, 25 regards d’experts sur la situation des droits de l’enfant en FranceJuin 2015.
  • UNICEF France, Chaque enfant compte partout et tout le temps, Novembre 2015.

 

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